Note de Service d’un début 2015

Bon, après un mois d’absence où tout le monde était cloîtré dans sa caserne, à manger de bonnes bûches de noël et à attendre Jean-Pierre Foucault lancer le compte à rebours, jusqu’à ce que les coupes de champagnes improvisent à leurs contacts la fausse musique du bonheur, on a pu reprendre nos activités.

C’est vrai qu’on a hésité, car on était bien dans le chaud foyer de nos parents et dans l’après dessert qui mélangeait débat politiques (ou débâcle familiale) et blague raciste de toutes les couleurs. Moi ça me plaisait bien… mais bon, il fallait bien assumer l’indépendance et retourner dans notre misérable maison où un radiateur sur cinq est allumé et où, facture d’électricité, d’eau etc attendaient patiemment leurs chèques de noël. Autant vous dire que je n’avais pas du tout envie de retrouver ces choses stressantes auxquelles tu es convié tous les jours, et qui te donnent juste envie de te bouffer les doigts en pensant bêtement que tu trouveras de l’or au bout. Bref, en tous cas, pour ce début d’année 2015, on commence avec l’hiver et cette période d’absence, de refuge où l’on tasse nos regards sur des feux qui crépitent sans forcément avoir le désir d’aller voir dehors. Du coup, il faut redéfinir dans nos têtes pourquoi on a choisi une maison pour faire des concerts, et faire ça avant que notre énergie se soit consumé dans le confort et l’inactivité.

Maure ou Vif, ça fait maintenant un an et demi que ça existe et depuis tout ce temps on a jamais écrit, communiqué sur ce qui mijotait dans ce sous-sol. On a entendu dire que Maure ou Vif c’était une boîte de nuit, qu’ils vivaient à 30, que c’était un endroit pour faire du «  Deal » de drogue, qu’on mangeait du pétrole, qu’on faisait du trafic de tajine, mais rien de tout ça n’a su se rapprocher de ce qu’était ce lieu. Les rumeurs, dans les petits villages comme Tulle, c’est comme des puces : ça se glisse dans nos oreilles, ça pond dans notre cerveau et puis ça se retire pour aller chez un autre. Puis vu de l’extérieur, il y a rien de mauvais. Quand la puce descend dans le conduit auditif et charme le tympan d’une nouvelle musique jamais entendue. Le corps entre alors dans une danse frénétique où l’excitation monte presque jusqu’à l’orgasme. Et cette puce qui met en transe pendant une petite seconde, va pénétrer encore plus loin . Une fois passée l’oreille interne, elle crie de plus en plus fort et s’amuse. Elle commence par l’aire auditive primaire puis saute vers le lobe frontal puis roule vers la partie visuelle, reste un peu là, le regard résiste plus longtemps mais se laisse emporter par l’imagination. La perception est maintenant libre de toute manipulation, la puce retourne alors dans la partie auditive pour compromettre l’écoute de la personne. Oui c’est bon . Elle mute la réalité, la personne, toujours en transe, jouit pleinement du bocal qui résonne jusqu’à ses pieds. Là, danger, le cœur bat, c’est les souvenirs qui tentent de raisonner la partie sensorielle. Mais la puce chante tellement fort que les souvenirs se brisent sur le ton du passé et ne laisse à la partie sensorielle que les lambeaux de tous ce qui auraient pu ramener la personne à n’importe quelle raison. C’est bon la puce contrôle tout, elle va pouvoir partir chez un autre mais avant ça, avant que le mécanisme retrouve son fonctionnement, elle laisse les nymphes de la bêtise pour que le nouveau mécanisme cérébral s’automatise et se répète jusqu’à que rouille et casse définitivement la raison.

Bref les rumeurs ça rend les gens cons. Ça rend les gens hypocrites et seuls. Et pour moi une rumeur c’est une sorte de complot personnel qui se transforment en blabla. C’est la morve qu’on rumine par orgueil et qu’on recrache par haine. Tout ça parce qu’ on complote avec nous même, qu’on s’observe, qu’on se juge, qu’on se compare, qu’on cherche un « je » dans un jeu de miroir, dans un jeux de distinction où le but est de racler son cul sur le visage de l’autre pour le trophée de la meilleur gueule. Personne ne gagne, mais tout le monde est quand même satisfait d’avoir participé.

Maure ou Vif n’a pas trop envie de participer à ce genre d’embuscade démocratique où tout le monde met son grain de sel et pisse dans ta soupe comme s’ils étaient souverains de leurs critiques.

Maure ou vif c’est rien d’autre qu’un espace vide. C’est un objet qui se transforme à la guise de chacun mais qui retourne toujours à sa forme initiale. C’est un lieu qui ne propose ni n’impose aucune sorte d’identité, qui n’a pas de regard, qui n’a pas d’oreille, qui n’a pas de sensibilité. C’est un objet neutre et vide, où tout le monde peut entrer et sortir.

A la différence de certains lieux culturelles aux démarches étatiques – lieux publiques où tout le monde n’accède pas, par la barrière financière qu’elle propose à l’entrée, qui est un cul de sac pour les initiatives personnels et qui sert de récipient pour nourrir les cochons. Le cochon ? c’est cette personne qui après être aller dans un lieu culturel a le sentiment abstrait d’avoir croqué le fruit de la connaissance et a, aux yeux de Voltaire parmi d’autres, le prestige de pouvoir cultiver son jardin. Et ça peut importe la qualité artistique qu’il aura vu ou entendu, la seule chose qui compte pour ce cochon c’est de participer, sans se préoccuper de son argent, à l’événement culturel, parce qu’il est culturel –, Maure ou vif n’est pas un outil économique pour l’état, n’est pas une porcherie (bien qu’il accepte les porcs), n’a pas de but lucratif, ne choisit pas sa programmation, ne dépend pas des subventions.

Évidemment ce lieu est géré par un petit groupe de gens qui ont, comme tout le monde, des éthiques aux esthétiques protéiformes. Et l’idée, c’est d’essayer de faire en sorte que l’identité du lieu ne soit pas celle du petit groupe qui l’organise. Bien que ce soit une tâche difficile, presque utopique, on tente le coup à travers plusieurs techniques.

Les groupes qui demandent à jouer dans le sous sol ne sont pas acceptés en fonction de leur style musical ou de leurs qualités artistiques, mais plutôt en fonction de notre disponibilité pour organiser le concert. La qualité artistique d’un groupe est faite, soit par le talent, soit par le travail, et si un groupe n’a pas de qualité artistique c’est qu’il n’a pas de talent ou qu’il n’a pas assez travaillé ; donc plutôt que de refuser ce groupe, ne vaudrait il pas mieux le faire jouer devant un public (qui lui n’est pas neutre) qui lui dira tranquillement que c’est de la merde et qu’il faut travailler ? Le lieu n’a pas vocation à répondre à cette question. Ainsi, peut être, ce groupe travaillera et progressera…. qui sait ? Si après maints efforts rien ne se passe, alors peut être qu’il faudra leur dire d’arrêter et de changer de passion ou de voix professionnel (avant qu’ils ne soient attirés par l’absence artistique des marchés de pays ou autres festivités graisseuses où seule l’andouillette est un art).

Donc en plus de leur permettre d’affiner leur art, on peut les encourager à se familiariser avec des lieux qui ne sont pas là pour engraisser l’économie culturelle de l’état, et qui ne leurs demandent pas de faire les pantins pour une fête de village (choses que certains acceptent pour compléter leurs heures d’intermittents, ou simplement parce qu’ils ont vraiment envie de jouer, et qu’aucun lieux ne les programment parce que leurs musique est mauvaise. Du coup à nous de savoir si on préfère que ces groupes alimentent des endroits où tout le monde s’en branle de ce qu’ils font tant qu’il y a des saucisses en dessert).

Donc Maure ou vif ne choisit pas les groupes qui viennent, c’est eux, qui choisissent de venir. En venant, ils participent aux fonctionnement ainsi qu’aux choses que le lieu défend et par la même occasion, peut être qu’ensuite ces groupes chercherons à jouer dans des lieux similaires plutôt que d’arrêter parce que la salle aux subventions extraordinaires n’en veut pas – les subventions, qui puisent l’argent dans les fonds publiques, sont distribuées à des associations ou à des entreprises par rapport aux projets qu’elles proposent pour servir un intérêt général, mais en fait elles ne servent qu’un intérêt privé. Car effectivement une subvention, versée à une association, va profiter à l’association ainsi qu’au public mais le problème est que pour avoir ces subventions l’association doit légitimer celle ci sous la forme d’un budget prévisionnel qui établit les dépenses et les recettes futurs de l’association et donc pour légitimer celle-ci elle doit dépenser autant d’argent qu’elle en a reçu. Et si elle ne le fait pas elle ne pourra pas avoir de subventions l’année d’après. Donc elle se retrouve dans un processus de consommation où pour consommer elle doit produire des concerts, des spectacles pour légitimer cette subvention. Rien de nouveau, mais  avez vous déjà vu des associations subventionnées passer plus de temps sur les questions artistiques que sur les dossiers de subventions ? Avez vous déjà vu une association subventionnée n’être sujette à aucune contrainte vis à vis de son fonctionnement, sa programmation ? Non… Parce que ces lieux sont pris dans la grande production culturelle que des institutions propagent en les rendant dépendant de l’argent publique. Ces institutions et ces salles culturelles disloquent les initiatives personnels qui pourraient avoir un enjeu pour dynamiser le territoire tout en servant un réseau culturel qui invente une qualité artistique laissant alors les petits groupes dans une contemplation plutôt que dans une possibilité…).

Mais Maure ou Vif n’existe pas juste pour la débauche culturelle et l’absence des initiatives qui permettent à tout le monde d’avoir un bol de soupe sur le territoire limousin. Il existe aussi parce que nous avons fait, de nos regards de cancre, un constat sociologique qui montre différentes personnes qui se rassemblent dans des lieux qui sont indifférent aux besoins de ces personnes. Il existe pour proposer une autre manière de faire et par là montrer du doigt les politiciens belliqueux, les audacieux fortunés, les images opulentes du bonheur et de la réussite qui désespèrent tout ceux qui n’ont rien à offrir, les stratagèmes d’épuisement complices de nos détresses où boutiques et accessoires sont devenues le culte de la sérénité. Il existe parce que des lieux culturelles sont des machines à produire et que certaines personnes ont justes la chance d’admirer les lumières qui éclairent l’entrée. Il existe sans langages, sans politique, sans religion car il considère que l’acte lui-même rassemble plusieurs langages, plusieurs politiques, plusieurs religions parce qu’aucun esprit qui participe n’est sujet à la neutralité. Maure ou Vif existe pour que l’on puisse confronter nos identités, que les groupes se dispersent, se mélangent et se taisent. Qu’on puisse être libéré des rumeurs, de l’information qui nous guide parce qu’on n’aurait jamais été dans un endroit où avant d’y aller l’on pensait qu’il ne nous correspondait pas. La neutralité, l’absence de langage, l’objectif d’être un objet, existe pour que l’on ne puisse pas s’identifier avant de venir, existe pour piéger les rencontres, pour «  s’intéresser plus à moi qu’à lui même puis à tout le reste plus qu’à moi » et ça, même pour ceux qui l’organisent.

Ces choses sont de l’ordre du «  devenir ». Maure ou Vif, aujourd’hui, ne répond pas à tous ce que je viens de dire, mais il cherche à l’être. A ce jour c’est dans une maison louée qu’ on exerce nos activités mais comme quelques problèmes financiers sont arrivés ( avec le stress et le reste que vous connaissez sans doute ) on cherche un autre endroit. On va essayer de trouver un endroit où on va pouvoir élargir les activités artistiques ( théâtre, expo etc), où on va pouvoir être plus proche de l’autonomie et où on pourra rassembler plus de monde. Donc si vous sentez une période d’absence, ne vous inquiétez pas, on sera juste en train de mieux se préparer pour être ce lieu où tout le monde peut s’exprimer, écouter sans se soucier de sa situation financière, de sa religion, de son parti politique, de sa nationalité, de son sexe ; être un lieu culturel sans être une banque ; être un lieu qui se suffit à lui même parce que les gens y troquent un bout d’eux mêmes. Essayer d’être autonome, pas que sur le financement, pas que sur l’organisation, mais aussi sur le besoin de s’identifier, de rechercher qui on est. Essayer d’échapper au monde économique qui répond à la question de « qui je suis » en nous traçant des chemins où la seule issue est de gagner de l’argent. Essayer d’échapper au stresse des factures, du frigo vide, des cheminées sans feu. S’aider à s’imaginer comment être mieux tous ensembles, sans délaisser ceux qui n’ont rien à offrir, et ceux qui en ont trop.

David

12 réflexions sur “Note de Service d’un début 2015

  1. Je suis venu vous voir quoi…
    3 ou quatre fois à tout péter, dans l’ensemble, côté musical, je partage pas forcément les mêmes goûts, je cache pas non plus que certain groupes étaient pas terribles.
    Mais :
    Je joue d’aucun instrument de musique et c’est un peu facile de critiquer (la critique peut être constructive aussi) quand on fout rien. Les groupes sont pas toujours excellents, mais ils ont au moins le mérite de faire, d’essayer de faire ou de proposer une prestation, sans en retirer grand chose à part le fait d’avoir essayé de communique un peu de leur passion et de leur temps.

    Sur la dizaine de groupes que j’ai du voir en tout, j’ai quand même eu 2-3 très bonnes surprises, dont un groupe, dont je me rappelle plus du nom, mais qui m’a laissé sur le cul.

    Ce qui m’a le plus surpris, c’est d’abord, le concept, que je connaissais déjà, mais qui est peu commun en Corrèze. Surpris aussi de voir qu’aucune petite contribution n’était demandée, juste de commander quelques coups au bar, la encore, sans aucune forme d’obligation.

    Partant de la, beaucoup ont abusé, souvent les mêmes qui viennent cracher dans la soupe, viennent avec leur binouses ou leur bouteilles et n’ont pas ne serait-ce que 2 ou 4€ à mettre dans une conso, au moins pour le principe.
    Le mêmes aussi qui sont prêts, par contre, à foutre 50€ pour acheter des saloperies à se foutre dans le cornet.
    Bref, à vouloir être trop sympa et à tout offrir, il y aura toujours des profiteurs et des salopes pour baver.
    Je suis vraiment déçu de voir que beaucoup sont bien contents de se voir offrir des prestations gratos, bien au chaud sous un toit, sans jouer le jeu un minimum en essayant d’y mettre un peu du leur, comprendre le fait que les boissons c’est pour aider à payer les factures d’élec etc, que de monter un tel projet demande un minimum de motivation et d’huile de coude.
    De devoir jouer au gendarme quand les mecs bourrés se garent au milieu de la route, devant le portail des voisins ou vont pisser chez eux, bah c’est pas agréable non plus et c’est embarrassant.

    Voila, je suis triste de constater qu’il n’y a pas beaucoup de personnes solidaires et un minimum investies. Je n’habite plus en Corrèze mais ai toujours quelques contacts et si j’entends parler d’une maison (je suppose qu’à la cambrousse avec genre une petite grange serait top) à louer à un prix abordable, je le ferai savoir.
    J’espère en tout cas refaire une soirée « morte ou vive » à l’occase d’une visite aux potes en Corrèze.
    Chapeau bas pour ce que vous avez fait, c’était pas évident mais vous avez géré comme vous avez pu, jusqu’au bout.

    A la revoyure 😉

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